Les défis éthiques de l’infertilité : une analyse avec le Professeur Sureau

Le Pr Sureau, gynécologue-obstétricien et membre du Comité consultatif national d’éthique, fait un tour d’horizon des questions controversées en matière de bioéthique et d’infertilité. Doit-on lever l’anonymat des donneurs de gamètes ? Faut-il légaliser les mères porteuses ? Est-ce que l’assistance médicale à la procréation (AMP) devrait être autorisée pour les célibataires ? Ces sujets suscitent de vives polémiques.

Échange avec le Professeur Sureau sur les enjeux de la bioéthique

Les débats autour de l’anonymat des donneurs de gamètes, de la légalisation des mères porteuses et de l’autorisation de l’assistance médicale à la procréation (AMP) pour les couples homosexuels sont susceptibles d’être abordés dans les mois à venir, suite à la récente légalisation du mariage gay. En 2009, nous avons eu l’opportunité de rencontrer le Professeur Sureau, gynécologue-obstétricien et membre du Comité consultatif national d’éthique, dont les réflexions sur les enjeux majeurs de la bioéthique demeurent très pertinentes aujourd’hui.

Quel est votre point de vue sur la levée de l’anonymat et la gratuité des dons de gamètes ?

Le principal problème concerne principalement le don de sperme. En effet, il est impossible d’éliminer totalement la possibilité d’une fécondation naturelle par le mari ou même par un tiers, tel qu’un éventuel amant, plutôt que par le donneur de sperme. Dans de telles situations, l’incertitude quant à la filiation peut conduire à la demande de tests génétiques, créant ainsi un problème de grande envergure. En ce qui concerne la gratuité du don de sperme, je pense que les efforts physiques et psychologiques qu’il requiert ne justifient pas une rémunération. Par contre, le don d’ovocytes est beaucoup plus lourd et pénible, donc je ne suis pas choqué par la mise en place d’une compensation pour la donneuse.

Quelle est votre opinion sur l’avis négatif de l’Académie de médecine sur la légalisation des mères porteuses ?

Je comprends que vous vous interrogez sur la légalisation de la gestation pour autrui (GPA). Bien que cela reste un sujet controversé, il est important de l’étudier sérieusement. L’absence d’utérus peut être considérée comme une injustice, car la médecine peut résoudre de nombreux problèmes d’infertilité, sauf celui de la femme qui peut concevoir mais ne peut pas porter son bébé. Dans ces cas, la mère porteuse peut être considérée comme un intermédiaire temporaire, permettant ainsi une concordance entre la filiation génétique de l’enfant (conçu par ses deux parents) et sa situation familiale (élevé par eux). Il est vrai que la GPA comporte des risques obstétricaux pour la mère porteuse, mais en France, il est peu probable que des dérives financières se produisent. En effet, la gestation pour autrui est motivée avant tout par un profond sentiment altruiste. Bien que la GPA soit interdite en France selon les lois de bioéthique révisées en 2011, il y a eu des assouplissements récents. Depuis janvier 2013, les enfants nés à l’étranger d’un père français et d’une mère porteuse obtiennent automatiquement la nationalité française. Cela pourrait être considéré comme un premier pas vers la légalisation des mères porteuses en France.

L’AMP devrait-elle être accessible aux célibataires et aux personnes homosexuelles ?

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Depuis 1994, l’Assistance médicale à la procréation (AMP) est limitée aux couples mariés ou vivant ensemble depuis deux ans. Cette exigence est souvent considérée comme irréaliste et devrait être revue. Certaines femmes ont réussi à élever des enfants seules de manière admirable. Alors, qu’en est-il des femmes célibataires qui sont stériles ? Il n’est pas de notre ressort de juger comment une femme choisit d’avoir un enfant, donc il est juste de leur permettre d’accéder à l’AMP. Cependant, je reste indécis sur la question des couples homosexuels. Des études ont montré que deux personnes du même sexe sont tout aussi capables d’élever un enfant que les couples hétérosexuels. Néanmoins, je me demande comment l’enfant percevra cette situation plus tard dans sa vie. Malgré l’adoption récente du mariage homosexuel, l’ouverture de l’AMP aux lesbiennes continue de susciter des débats. Un projet de loi sur la famille devait aborder cette question de la procréation assistée. Cependant, en raison de la controverse, son examen a été reporté à l’automne.

L’opinion sur la fécondation artificielle d’une femme dont le mari est dans un coma irréversible en Italie

D’un point de vue éthique, je trouve cela inacceptable. Je m’oppose à l’utilisation de sperme posthume pour l’insémination car cela peut entraîner des pressions psychologiques pour la femme, notamment de la part de la belle-mère qui refuse de faire son deuil. Cependant, je suis favorable au transfert posthume d’embryons congelés dans certaines conditions. Cela devrait être fait dans un délai raisonnable, généralement un à deux ans après la fécondation. Après tout, est-il juste de condamner à mort un embryon qui a été conçu par les deux parents dans un projet parental équilibré, simplement parce que le père est décédé ?

Quelle est votre opinion sur la controverse autour des « bébés médicaments » ?

Un « bébé médicament » est un enfant conçu et sélectionné génétiquement pour pouvoir aider un frère ou une sœur aîné atteint d’une maladie héréditaire incurable. Cette technique, appelée diagnostic pré-implantatoire (DPI), est pratiquée dans seulement trois centres en France et est utilisée dans un nombre très limité de cas. Je ne suis pas choqué par cette pratique et je pense que la polémique autour de son utilisation est injustifiée. En France, le premier bébé issu de cette technique est né le 26 janvier 2011 et a été conçu pour sauver la vie de l’un de ses aînés atteint de la bêta-thalassémie, une grave maladie génétique.

Êtes-vous favorable à l’expansion de la recherche sur les embryons humains ?

En tant que gynécologue-obstétricien, je suis confronté aux malformations qui affectent environ 2 à 3% des naissances. Il est donc crucial de mener des recherches approfondies pour les prévenir. Cependant, cela soulève la question du statut de l’embryon. En droit civil français, il existe uniquement deux catégories juridiques : les objets de droit et les personnes, qui doivent être nées vivantes et viables. C’est pourquoi je soutiens la reconnaissance d’une troisième catégorie juridique : les êtres prénataux. Un fœtus a en effet la particularité d’être à la fois traité (par exemple, par DPI ou d’autres interventions prénatales) et éventuellement détruit (par une interruption de grossesse). En reconnaissant cette troisième catégorie, nous pourrions élargir les recherches sur les embryons humains sans remettre en cause la loi Veil concernant l’IVG.

L’interdiction de la recherche sur les cellules souches a été renouvelée en 2011. Cependant, les mentalités évoluent. En décembre 2012, le Sénat a adopté une proposition de loi autorisant, sous certaines conditions, la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.